
Katia Brien-Simard
Lorsque je suis allée au centre commercial pour faire photographier mon fils avec le Père Noël, une affiche indiquait la venue prochaine des « pentins du Père Noël ». Consternée, je m’adresse à la personne qui se trouve à l’accueil pour lui faire remarquer qu’il devrait plutôt être écrit pantins. La mine déconfite, l’homme me rétorque que ce sont bel et bien des pentins, et que puisqu’ils sont spéciaux, la graphie du mot l’est elle aussi. Puis, de se tourner vers sa collègue en lui demandant, de façon très audible, de corriger le tir! Situation suivie de la fameuse tirade sur la complexité de la langue française. « Pourquoi les mots ne sont-ils pas toujours écrits de la façon dont ils sont prononcés? Pourquoi doit-on écrire doigt, alors qu’on ne prononce pas le g? », me demande-t-il, l’air exaspéré.
Eh bien, mon cher monsieur, j’ai envie de vous répondre que ces lettres, tout comme les signes diacritiques, nous permettent de distinguer des concepts lorsque nous lisons des mots et/ou les prononçons, mais surtout que cela fait partie du précieux héritage des langues d’origine latine et que ces complexités témoignent de la richesse culturelle du français.
Un petit survol historique nous permettra de mieux comprendre ces traces laissées par les conquêtes, les invasions et les contaminations linguistiques, car « le français s’est tout au long de son histoire enrichi des diverses langues avec lesquelles il a été en contact »1.
Lettres muettes
L’ancien français a profondément modifié la langue, même si de nombreux signes graphiques sont demeurés. Par exemple, entre les XIe et XIIIe siècles, « les diphtongues et les triphtongues se simplifient, soit par réduction à une voyelle simple ... ou à une voyelle précédée d’une semi-consonne »2. Ainsi, à un certain moment uø devient ø, comme dans : bœuf, œuf, cœur et vœu.
Dans le cas du mot doigt, il faut savoir que terme vient du latin populaire ditus, soit digitus, qui signifiait « doigt de la main, du pied » en latin classique. On comprend dès lors mieux que le g soit resté. Cela nous permet également de ne pas le confondre avec le verbe devoir, à la troisième personne du singulier de l’indicatif présent.
Un mot comme automne vient d’un emprunt tardif au latin autumnus. Aulne est issu du lat. alnus,qui serait entré en contact avec alisa, utilisé dans les régions de la Meuse, de l’Escaut et du cours supérieur du Rhin3. Cela expliquerait la forme d’ancien français ausne. On aurait donc maintenu la graphie de l’un et la prononciation de l’autre.
Le mot grand vient du fonds primitif issu du latin classique grandis, d’où le maintien du « d » muet. Notons que la lettre « t » a également été utilisée au fil des siècles. Le mot août provient du latin augustus, en l’honneur de l’empereur Auguste, qui serait devenu en bas latin agustus au Ve siècle, puis aüst (aost), (d’où le maintien du « a », et même parfois de sa prononciation). Le mot coup est pour sa part issu du latin populaire colpus, « action de frapper »; du grec ancien kolaphos, « soufflet », d’où le maintien du « p ».
Signes diacritiques
Comme l’origine grecque du mot (diakritikos : qui distingue) l’indique, les signes diacritiques sont des « signes graphiques (point, accent, cédille) portant sur une lettre ou un signe phonétique, et destiné à en modifier la valeur ou à empêcher la confusion entre homographes »4. Par exemple, en ajoutant un tréma, la conjonction de coordination « mais » devient le substantif « maïs ».
Emprunts
Notre langue regorge d’emprunts aux langues avec lesquelles elles ont cohabité. Par exemple, le mot ananas est un emprunt au tupi-guarani, langue indienne du Brésil, a (arbre) et nana (parfumé). Caoutchouc vient pour sa part du maya caa (arbre) o chu (qui pleure).
De nombreux autres emprunts ont été faits aux langues autochtones, mais également à d’autres langues, dont l’anglais, l’arabe, l’espagnol, le grec, l’hébreu, l’italien, le portugais, les langues germaniques et scandinaves. Je vous invite à visiter le Portail linguistique du Canada pour en connaitre davantage sur l’origine de certains emprunts.
Bref, chaque particularité de la langue comporte une explication sociohistorique et il est intéressant de s’y pencher. Cela nous permet de mieux comprendre notre culture et de percevoir positivement ce que l’on considère trop souvent comme des complexités.
1 HUCHON, Mireille, Histoire de la langue française, Le livre de Poche, collection INÉDIT Littérature, Librairie Générale Française, 2002, p.282.
2 Ibid., p. 72.
3 http://www.cnrtl.fr/etymologie/aulne
4 Le Petit Robert 2011, Dictionnaires Le Robert, p.729.
Dans mes deux précédents billets, je vous exposais des expressions figurées qui intégraient des références animalières et corporelles.
Je vous propose aujourd’hui une autre série de ces expressions idiomatiques, qui, cette fois, font référence aux couleurs. Ce type d’expression est propre à chaque langue, ce qui fait qu’elles sont si vivantes. Voici donc quelques-unes de ces expressions colorées !
Voir rouge : avoir un accès de colère
Dérouler le tapis rouge : faire une grande cérémonie
Être la lanterne rouge : être le dernier
Être marqué au fer rouge : être troublé par un évènement
Tirer à boulets rouge : critiquer avec violence
Agiter le chiffon rouge : aborder un sujet controversé
Le téléphone rouge : ligne téléphonique directe entre le président des États-Unis et le secrétaire de l’URSS (guerre froide)1
Être sur la liste rouge : avoir un numéro de téléphone ne figurant pas dans l’annuaire
Être dans le rouge : ne plus avoir d’argent dans son compte bancaire
Être rouge comme un homard : être gêné, honteux ou brûlé par le soleil
Alerte rouge : avertissement de la plus haute importance
Franchir la ligne rouge : franchir les limites
Fil rouge : idée conductrice
La planète rouge : Mars
L’Armée rouge : armée soviétique
Gardes rouges : milice de jeunes maoïstes durant la révolution culturelle2
Peau rouge : indien d’Amérique
Rire jaune : rire forcé
Voir jaune : être jaloux
Donner le feu vert : donner son aval
Avoir la main verte (ou le pouce vert) : être bon jardinier
En voir des vertes et des pas mûres : voir des choses déplaisantes
Se mettre au vert : effectuer un retrait à la campagne
Donner une volée de bois vert : critiquer violemment
Être encore vert : être vigoureux
Employer la langue verte : utiliser l’argot
Être un cordon bleu : être excellent dans le domaine culinaire
Avoir les bleus ou être bleu marin(e) : être fâché
Avoir une peur bleue : avoir une peur inouïe
Bas-bleu : une femme savante (pédante)
Être fleur bleue : être sentimental
Avoir du sang bleu : être issu d’une lignée de nobles
L’or bleu : eau (richesse représentée par la mer)
La planète bleue : Terre
N’y voir que du bleu : se faire leurrer
Broyer du noir ou voir tout en noir : être pessimiste
Entrer dans une colère noire : se mettre vivement en colère
L’or noir : pétrole
Travailler au noir : travailler illégalement
Noir comme chez le loup : obscurité totale
Faire travailler sa matière grise : réfléchir
La nuit, tous les chats sont gris : désigne la faciliter à tromper lors de difficultés
Être blanc comme neige : être innocent
Montrer patte blanche : prouver son identité afin d’entrer dans un lieu
Être blanc : avoir mauvaise mine, n’être pas bronzé ou pâlir sous le coup de l’émotion
Une nuit blanche : Une nuit sans sommeil
Donner carte blanche : Laisser quelqu’un faire ce que bon lui semble
Manger son pain blanc : traverser une période heureuse
Un merle blanc : chose rarissime
Un mariage blanc : mariage ayant pour but des bénéfices administratifs
Bonnet blanc et blanc bonnet : lorsque que l’on présente deux situations qui paraissent différentes mais qui sont pareilles ou semblables
Connu comme le loup blanc : Une personne connue
Histoire cousue de fil blanc : Histoire dont la fin est prévisible
Faire chou blanc : Échouer
Blanc-bec : jeune homme inexpérimenté et prétentieux
Voix blanche : voix sans timbre
Des vers blancs : vers qui ne riment pas
Arme blanche : qui n’est pas une arme à feu
Voir la vie en rose : être optimiste
Voir des éléphants roses : halluciner
Être marron : être berné
Tirer les marrons du feu : prendre des risques pour autrui
En voir de toutes les couleurs : vivre des choses agréables et désagréables.
Au fil de mes recherches, j’ai fait plusieurs découvertes intéressantes, notamment en ce qui a trait à l’origine de ces expressions. Leur ancrage historique est très révélateur de notre richesse culturelle. Un site Web3 et une vidéo YouTube4 expliquent d’ailleurs bon nombre de celles proposées dans ce billet.
Tous les moyens sont bons pour décrire les apparences et les états d’âme. Une chose est sûre; avec autant d’expressions, tout le monde peut montrer ses couleurs !
Plusieurs expressions tirées du site FrançaisFacile.com :
http://www.francaisfacile.com/exercices/exercice-francais-2/exercice-francais-89954.php
…et du blogue Paris Monterrey :
http://www.parismonterrey.com/blog/2012/05/10/expressions-avec-couleurs/
1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Rouge
2 Ibid.
3 http://www.linternaute.com/expression/langue-francaise/
4 http://www.youtube.com/watch?v=Xf9ULigyrRQ
À l’image de la rhétorique antique, nos expressions sont souvent d’éloquentes figures de pensée. On distingue deux catégories de figures, soit les figurae verborum et les figurae sententiarum1. La première opère par des jeux sonores ou graphiques, par des figures de sens, comme la métaphore, ou par construction, en jouant sur l’emplacement des mots. La seconde modifie la description du référent, que ce soit dans une suite de mot, une phrase ou un texte.
Dans l’usage courant, on distingue « figures de mots » et « figures de pensées ». Les figures de mots modifient le sens, le signe ou la sonorité, alors que les figures de pensées ont davantage trait aux liens entre les idées. Le site Alis rhétorique propose une définition selon laquelle « on désigne par figure l'opération consistant à modifier une expression par une autre que l'on attendrait à ce moment du discours si celui-ci était écrit au degré zéro […]2. » Nous nommons trope, qui signifie « manière » ou « tour » en grec, la figure qui modifie la signification usuelle des mots. Il existe trois formes de tropes, soit la métaphore, la métonymie et la synecdoque3.
Qu’elles procèdent par ajout, effacement, modification ou combinaison, les figures de pensée deviennent parfois des « clichés ».
Voici quelques exemples de ces expressions figurées, qui intègrent des références corporelles :
Perdre la tête
Avoir la tête dure
Être tombé sur la tête
Avoir la tête haute
Être une tête en l’air
Être une tête enflée
Faire quelque chose sur un coup de tête
Avoir des yeux tout le tour de la tête
Avoir les yeux plus grands que la panse
Avoir une grande gueule
Être à pied d’œuvre
Une main de fer dans un gant de velours
Avoir une langue de vipère
Avoir les mains sales
Avoir des mains pleines de pouces
Avoir le nez fin
Avoir du pif (ou du flair)
S’entendre comme les doigts de la main
Par la peau des fesses
Avoir le pied marin
Faire un pied de nez
Avoir l’estomac dans les talons
Un talon d’Achille
Avoir une poignée dans le dos
Ne pas savoir sur quel pied danser
Se planter les pieds
Danser comme un pied
Donner un coup de main (ou de pouce)
Se prendre en main
Prendre ses jambes à son cou
Avoir les mains liées
Se faire manger la laine sur le dos
Quand j’ai quelque chose dans la tête, je ne l’ai pas dans les pieds!
Mange ta main et garde l’autre pour demain!
C’est mon petit doigt qui me l’a dit!
Notons finalement que la compréhension de ces expressions requiert une certaine connaissance des lieux communs (topoï). Toutefois, la dérogation à la norme (doxa) permet l’émergence d’un sens nouveau4. C’est ce qui rend nos langues si vivantes.
1 Le dictionnaire du littéraire, Paul Aron, Denis St-Jacques et Alain Viala, 2002, p.236.
2 Site consacré aux figures : http://www.alisrhetorique.com/figures.htm
3 http://www.alisrhetorique.com/figures.htm
4 Op.cit., p.237.
L’héritage d’une langue se mesure entre autres par la richesse de ses expressions. Lorsque l’on s’y attarde, leur abondance s’avère impressionnante. Dans les sillages de la langue française, nous retrouvons une multitude d’expressions « animalières ».
Voici quelques-uns de ces joyaux, avec lesquels Jean de La Fontaine était sans doute familier…
À commencer par les comparaisons :
Être bavard comme une pie
Être muet comme une carpe
Être myope comme une taupe
Être fort comme un bœuf
Être têtu comme une mule
Être rusé comme un renard
S’entendre comme chien et chat
Être comme une queue de veau
Être fier comme un coq
Être lent comme une tortue
Être comme un éléphant au milieu de la pièce
Être comme un chien dans un jeu de quilles
Manger comme un oiseau
Suer comme un porc
Se sentir comme un poisson dans l’eau
Être rouge comme un homard
Être laid comme un rat
Être chargé comme un mulet
Être fier comme un paon
Être doux comme un agneau
Être comme un loup dans une bergerie
Se faire bourrer comme une dinde
Accoucher comme une chatte
Être comme une chatte en chaleur
Être habillé comme la chienne à Jacques
Suivre comme un chien de poche
Couler comme sur le dos d’un canard
Faire noir comme chez le loup
Pleurer comme un veau
Être nu comme un ver
…sans oublier les métaphores :
Avoir une mémoire d’éléphant
Être le mouton noir
Compter les moutons
Être un mouton
Faire le singe
Être un poisson
Être un vieux loup de mer
Avoir une faim de loup
En parlant du loup
Avoir la chair de poule
Être une poule mouillée
Être une mère poule
Avoir une taille de guêpe
Jouer au chat et à la souris
Faire un froid de canard
Faire un temps de chien
Se regarder en chiens de faïence
Avoir du chien
Réserver un chien de sa chienne
Faire l’autruche
Avoir d'autre chat à fouetter
Chat échaudé craint l’eau froide
Il ne faut pas réveiller le chat qui dort
Quand le chat n'est pas là, les souris dansent
La nuit, tous les chats sont gris
Donner sa langue au chat
Avoir d'autres chats à fouetter
Avoir un chat dans la gorge
Le chat sort du sac
Il n'y a pas un chat
Il n'y a pas de quoi fouetter un chat
Bâiller aux corneilles
Finir en queue de poisson
Avoir anguille sous roche
Avoir une tête de linotte
Être une tête de cochon
Être le dindon de la farce
Passer du coq à l’âne
Mettre la charrue devant les bœufs
Qui vole un œuf vole un bœuf
Quand les poules auront des dents
Avoir une cervelle d’oiseau
Avoir des larmes de crocodile
Venter à écorner les bœufs
Avoir un front de bœuf
On n'apprend pas à un vieux singe à faire la grimace
On n'attire pas les mouches avec du vinaigre
Se faire tirer les vers du nez
Se faire du sang de cochon
À chacun son métier et les vaches seront bien gardées
Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué
À cheval donné, on ne regarde pas la bride
Chose fascinante, bien qu’elles aient chacune une signification qui leur est propre, ces expressions comportent autant de nuances qu’il y a de gens pour les interpréter.
Voilà ce qui, à mon sens, fait toute la beauté des langues.
Dans un prochain billet : les expressions « corporelles ».
Vous arrive-t-il parfois de chercher le terme juste en français alors que seul le mot anglais vous vient à l’esprit? Si vous avez répondu « oui » à cette question, vous n’êtes pas seul!
Comme en témoignent les dictionnaires de ces deux langues, il existe davantage de mots de vocabulaire en anglais, alors que le français comprend plusieurs synonymes d’un même mot, ce qui occasionne l’emploi de nombreux anglicismes.
Au Québec, notamment dans la région de l’Outaouais, l’utilisation des anglicismes est fréquente. Étant donnée la proximité de l’Ontario, il est commun d’entendre certaines personnes utiliser des mots anglais déclinés en verbes.
Dans la région de la capitale nationale, j’ai entendu des termes comme « lifter » pour covoiturer, « flabergasté » pour être complètement ébahi, « enjoyer » pour en profiter et même « tooter de la horn » pour klaxonner!
Une autre particularité qui m’a frappée est la féminisation des mots anglais lorsque le mot est féminin en français. Par exemple, les gens diront : « une skateboard » et « une snowboard » puisque l’on dit une planche à roulettes et une planche à neige en français.
Pour avoir beaucoup voyagé dans la belle province, je peux affirmer que l’emploi du masculin est préconisé pour l’ensemble de ces emprunts. Cela s’explique par le fait que selon la logique anglophone, les objets n’ont pas de genre. Bref, le sujet suscite de nombreuses discussions!
Sans s’en formaliser, il faudrait peut-être se pencher sur les effets de cette « contamination » sur notre langue à plus long terme. S’agit-il d’une évolution ou d’une régression du langage?
Qu’en dites-vous?
Afin d’approfondir la réflexion, je vous invite à consulter les liens suivants :
Concernant l’importance de l’anglais à l’échelle internationale :
http://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/manchettes-headlines/english-anglais-eng.html
Concernant l’origine de certaines expressions francophones :
Comme le soutenait l’auteur Gaston Miron, le français québécois n’est pas en situation de bilinguisme, mais plutôt de « diglossie ». Cela signifie que l’on utilise « deux variétés d’une même langue, chacune d’elles ayant un statut et des fonctions différentes »1. Ainsi, au Québec, le locuteur passera du français standard au français dit « québécois », en fonction du contexte social de la discussion.
Ce que l’on nomme un québécisme est un régionalisme, c’est-à-dire un « fait de langue propre à une région »2, en l’occurrence québécoise, ou encore un emploi qui prend un sens différent selon l’endroit. Il peut être formel ou sémantique. On dénombre plusieurs types de québécismes, notamment les archaïsmes, les dialectalismes et les anglicismes.
Les archaïsmes sont des « formes lexicales anciennes, disparues ou en voie de disparition dans le français moderne, mais encore usitées au Québec et dans certaines régions de la francophonie »3.Parmi les archaïsmes formels, on retrouve des mots tels « brunante » (relatif à la couleur brunâtre du ciel au coucher du soleil) ou encore « abrier » (pour mettre sous un drap). Parmi les archaïsmes sémantiques, on pourrait nommer« garde-robe », qui désigne un placard, ou « jambette », qui signifie croc-en-jambe.4
En ce qui a trait aux dialectalismes, c’est-à-dire les mots issus d’un « dialecte de la France »5, les dialectalismes formels se retrouvent plutôt dans l’oralité et sont souvent issus de croisements. Par exemple, le mot « écornifler » provient d’un croisement entre les mots « écorner » et « renifler ». Les dialectalismes sémantiques sont parfois une dérive d’un mot existant. Les Québécois disent d’ailleurs souvent « mouiller » pour pleuvoir, en raison du résultat de la pluie.
L’emploi des régionalismes est courant dans l’oralité. Sur la Côte-Nord du Québec, les « flots » désignent les enfants. On explique souvent ce phénomène par la proximité de la mer. Au Saguenay, on dit que les chemins sont « coulants » pour dire qu’ils sont glissants, et que quelqu’un est « gigon » pour signifier que cette personne manque de distinction. Il y a également des régionalismes plus répandus, tel « nenni », adverbe de négation employé très tôt par Jean de La Fontaine, notamment dans la fable La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, et encore aujourd’hui par l’ensemble des locuteurs du français.
Les déformations et les néologismes
Parmi les néologismes, on distingue les néologismes de création et d’emprunts. Les néologismes de créations formels et sémantiques sont souvent des mots forgés sur la base d’autres mots. Par exemple, « motoneige » provient du croisement entre « motocyclette » et « neige ». Parmi les néologismes sémantiques, on retrouve notamment le mot « laveuse » qui signifie un « lave-linge » et est largement employé au Québec, de même que « magasinage » qui signifie « faire des courses en magasin ».
Les néologismes d’emprunts, quant à eux, sont souvent dérivés de l’anglais, des langues amérindiennes, etc. Ceux empruntés à l’anglais peuvent être formels ou sémantiques. Les néologismes d’emprunts formels sont dérivés de mots existants. Par exemple, le mot registraire est dérivé du verbe to register. Les emprunts sémantiques, pour leur part, sont davantage attribuables au sens. Par exemple, en français québécois, le mot batterie (de l’anglais battery) désigne une pile.
Les néologismes d’emprunts aux langues amérindiennes conservent la forme originale du mot. Le mot « achigan » vient d’ailleurs de l’algonquin « qui se débat », et « atoca » est le mot iroquois qui désigne l’airelle des marais, plus communément appelée la canneberge.
Il y a aussi les emprunts à d’autres langues, qui ne sont pas nécessairement admis, comme « cachère ». Par contre, certains le sont, comme le mot « taboulé » qui provient de l’arabe dialectal.
À l’instar de Claude Gauvreau, grand dramaturge québécois, ma grand-mère employait fréquemment des néologismes, qui se perpétuent de façon intergénérationnelle. Elle réprimandait ainsi souvent ses enfants en leur disant : « Arrêtez de vous gringaçer! ». Vous l’aurez peut-être deviné par l’évocation du mot « grincer », ce néologisme signifie se chamailler, se tirailler. C’est là la beauté des néologismes; bien que ceux-ci ne soient pas répertoriés, on peut facilement les comprendre grâce à ce qu’ils évoquent!
Dans l’espoir d’avoir réussi à faire rayonner le français québécois à vos yeux, je vous invite à continuer à rendre votre langue vivante en employant les termes qui vous sont propres, peu importe votre région du monde!
1Définition tirée du Petit Robert 2011
2Définition tirée du Petit Robert 2011
3Définition tirée de la Direction de la qualité de la communication du HEC de Montréal : http://www2.hec.ca/qualitecomm/chroniques/franqueb/usageslexicaux.html
4La plupart des exemples et des explications sont tirés d’un site Web consacré aux régionalismes : http://legrenierdebibiane.com/participez/Expressions/quebec2.htm
5Définition tirée de la Direction de la qualité de la communication du HEC de Montréal : http://www2.hec.ca/qualitecomm/chroniques/franqueb/usageslexicaux.html
C’est connu, le français québécois est bien différent du français européen! Combien d’histoires loufoques concernant l’incompréhension entre deux locuteurs d’une même langue avons-nous entendues? Il en va de même partout dans le monde, peu importe la langue parlée. L’anglais américain et l’anglais britannique comportent leur lot de différences, tout comme l’arabe magrébin se différencie de l’arabe oriental, etc.
Au Québec, un débat fait rage entre les exogénistes, qui prônent le français standard et qui tentent d’éviter les régionalismes, et les endogénistes, qui soutiennent que le français québécois est aussi valable que les autres « variétés de français » et considèrent comme une utopie le français standard. Lionel Meney fait état de ce débat dans son ouvrage Main basse sur la langue, idéologie et interventionnisme linguistique au Québec paru en 2010 chez Liber. Associé au camp des exogénistes, il soutient que la position des endogénistes entraine la ghettoïsation linguistique et l’anglicisation des Québécois.
À mon avis, la « contamination » linguistique est souvent perçue négativement, selon une vision largement véhiculée dans la société, à commencer par le terme parasitaire associé à ce phénomène. Francis Gingras, un linguiste que j’ai eu l’occasion de côtoyer à l’Université de Montréal, déplorait d’ailleurs la connotation négative attribuée au langage parlé des Québécois, souvent considéré comme un français « relâché ». Or, au temps du Roi Soleil (Louis XIV), le Roi lui-même privilégiait ce type de prononciation. Il disait par exemple : « Le roué, c’est moé. » De plus, la norme était associée à la langue du nord (oïl), où vivait le Roi, et non à celle du sud (oc). Notons que « oïl » et « oc » désignaient simplement la façon de dire « oui », selon la région française habitée.
Paradoxalement, c’est au déclin de la forme « classique », ou « standard », des langues que l’on pourrait attribuer l’évolution de celles-ci, en ce sens que, d’un côté à l’autre des océans, la langue est influencée par le contexte dans lequel elle évolue.
L’utilisation d’anglicismes est un phénomène tout à fait normal, considérant l’influence des Canadiens anglais et de nos voisins américains. Ainsi, le contexte d'un Canada majoritairement anglophone et la proximité des États-Unis expliquent bien l’accusation selon laquelle les Québécois parlent « franglais »! Même les Québécois les plus à l’aise en français cherchent parfois leurs mots afin de désigner une chose ou un concept avec le mot juste. Ils doivent souvent pallier cette lacune avec un mot anglais. Et pour cause, il existe davantage de mots de vocabulaire en anglais alors qu’en français, plusieurs définitions étant attribuées à un même mot. En effet, l’Oxford English Dictionary comporte 500 000 mots, alors que le Petit Robert en comprend seulement 60 000 pour 300 000 sens! Cela s’explique par le fait que l’anglais inclut à la fois des mots d’origine germanique et romane. On saisit dès lors mieux pourquoi l’emploi de ces termes anglais est souvent plus précis.
Selon M. Francis Gingras, il n’existe pas une façon de s’exprimer qui soit la « meilleure », parce qu’une langue est en constante évolution! Ce qui nous donne l’impression de ce schisme serait davantage la différence que l’on établit entre les registres de langue qui existent et le niveau de « notoriété » qui leur est attribué. Or, c’est véritablement le contexte qui détermine l’emploi d’un mot ou d’un autre. Ainsi, le langage utilisé dans un milieu ouvrier est bien différent de celui employé dans une université.
Aucune langue n’est immuable. C’est d’ailleurs à force d’utiliser un mot que celui-ci entre dans l’usage. Les expressions sont idiomatiques et la nomenclature, fluctuante. C’est ce qui permet aux langues de rester vivantes. Il faudrait donc considérer cette évolution comme un enrichissement.
Au retour des Fêtes, je vous présenterai quelques-unes des perles du langage québécois.
Sources :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Débat_sur_la_norme_du_français_québécois